samedi 15 novembre 2014

Ne pas avoir de cerveau

Le zèbre est ado désormais. Il a passé une soirée de fête heureux, à déambuler au milieu de tous, à rire, à jouer à la bagarre, à attraper des gâteaux au vol et à les engouffrer. Il a même, par fulgurance, chanté et dansé un peu.

Au retour dans la voiture, il me raconte qu'en grande section de maternelle, il se souvient avoir répondu "jaune" à la question de la maîtresse "quelle est ta couleur préférée" mais ne pas avoir du tout compris ce que pouvait signifier  "ta couleur préférée". 
Il me demande ensuite à quel âge il a été diagnostiqué.
Il se demande comment pourrait être sa vie s'il n'était pas asperger, qui il serait s'il n'était pas asperger.
Il veut savoir quels sont les gênes porteurs de l'autisme, quelles sont les différences entre l'autisme de haut niveau et le syndrome d'asperger, quels liens il y a entre déficience intellectuelle et autisme.
Il veut savoir si un jour Lutèce et Corentin pourront parler. Il l'espère tellement.

Arrivés à la maison, la mouette sort de la voiture. Le zèbre veut continuer à parler encore. Nous restons là, éclairés par le néon vert de la pharmacie.

Il me dit  : "ma vie était très difficile avant".

"Je ne comprenais rien, j'avais l'impression de ne pas avoir de cerveau.

J'étais extrêmement désespéré. C'était avant le SESSAD. Il faut reconnaître que ça m'a aidé à comprendre les choses.
Aujourd'hui, il me faut encore beaucoup de temps pour trouver les mots mais je comprends mieux la vie.

Moi je ne pourrai pas écrire un livre sur ma vie comme Josef Schovanec car il y a trop de choses difficiles dont j'aurais honte ou qui sont trop dures à raconter et parce que je préférerais remonter le temps et changer des choses qui se sont passées".

Il est minuit et demi. Je suis seule dans la voiture avec ce petit bout de zèbre si courageux et si lucide. Je le trouve formidable.